Compte rendu du workshop APRAT
Clermont-Ferrand 7-8 novembre 2013
Radiosensibilité et AT
Richard Gatti (UCLA, USA) : Radiosensibilité de l’AT et syndrome XCIND
Les défauts de réparation de l’ADN sont regroupés dans un syndrome global nommé XCIND (X-rays sensitivity, Cancer susceptibility, Immunodeficiency, Neurological abnormalities, Double strand breaks). Ce syndrome regroupe un certain nombre de déficits en acteurs de la réparation de l’ADN (ATM, MRE11, RAD50, DNA-PK, Artemis, Cernunnos, DNA ligase IV, RNF168). Cependant dans la majorité des cas la cause moléculaire n’est pas connue, suggérant que de nombreux autres déficits restent à découvrir. Richard Gatti propose donc un ensemble de tests fonctionnels afin de détecter les patients atteints d’XCIND dont la clinique est éloignée de celle des rares cas décrits (Nahas et al. Current Opinion in Allergy and Clinical immunology 2009).
Nicolas Foray (Inserm, Lyon, France) : Radiosensibilité individuelle post-radiothérapie
L’étude porte sur des biopsies de peaux (fibroblastes) de patients atteints de cancers (sein, prostate,…) traités par radiothérapie. Le groupe de N. Foray mesure des marqueurs de la réparation (?H2AX, P-ATM,…) 24h après une exposition à 2 Grays (radiothérapie conventionnelle) et classifie ces patients en fonction de leur réponse à l’irradiation. 3 groupes sont définis : hypersensibles, sensibilité moyenne, radio-résistants. Le but est de détecter les patients pouvant présenter des réactions des tissus adjacents à la tumeur.
Par des méthodes de radiobiologie théorique, l’équipe de N. Foray a pu modéliser (Bodgi et al. Journal of Theoretical Biology, 2013) la reconnaissance et la réparation des cassures double brin de l’ADN. M. Foray propose, à partir de ce modèle, de prédire la survenue de cancers radio-induits chez les patients hyper-radiosensibles.
Andrew Exley (NHS, Cambridge, UK) : Radiosensibilité et symptômes respiratoires chroniques observés en clinique
Andrew Exley a présenté différentes méthodologies d’IRM pour visualiser les anomalies pulmonaires (obstructions par le mucus, bronchiectasie, consolidation du lobe médial droit). (Biederer et al. 2012, Serra et al. 2011, Montana et al. 2013). Les dernières innovations d’IRM en temps réel permettent de visualiser les troubles de la déglutition, de la parole et de l’élocution.
Fabien Forcheron (Service de santé des armées françaises, Lyon, France) : Traitement de syndromes d’irradiation cutané par cellules souches dérivées d’adipocytes
Fabien Forcheron travaille sur un modèle porcin de traitement des conséquences cutanées d’une irradiation (érythème, dermatose, atrophie dermique). Ses résultats (Riccobono et al. Health Physics 2012) montrent que la cicatrisation de blessures cutanées dues à une irradiation peut être améliorée par greffe de cellules souches. L’étude a également été validée chez l’Homme, dans le syndrome d’irradiation aigu. Après ablation des tissus endommagés et greffe de cellules souches mésenchymateuses issues de la moelle osseuse, une cicatrisation de la peau sans nécrose a été observée.
Michael Joiner (W.S. University, USA) : ATM et hyper-radiosensibilité à de faibles doses
ATM est activé à de très faibles doses d’irradiation (dès 0,1 Gray) et le phénomène d’Hyper-Radio-Sensibilité (HRS) est observé dès 0,5 Gray. Michael Joiner, qui a découvert ce phénomène en 1996 (Joiner et al. Mutation Research 1996), propose donc d’utiliser l’HRS pour améliorer la radiothérapie dans le cas des maladies radiorésistantes. (Martin et al. Cancer Letters 2013 ; Schoenherr D Int J Radiat Biol 2013).
Michel Bourguignon (ASN, France) : Prise en compte de la radiosensibilité individuelle
Michel Bourguignon a attiré l’attention sur le risque de surexposition médicale à des doses faibles mais répétées d’irradiation, dans le cadre des scanners à acquisition tomographique par exemple. Dans la mesure où 10 à 15 % de la population pourrait être sensible à ce genre de doses (20 mGrays), l’exposition médicale à de tels agents clastogéniques doit être limitée.
Activité d’ATM et neuro-dégénérescence
Guillaume Rieunier (Institut Curie, Paris, équipe Marc-Henri Stern) : ATM et stress oxydatif
La protéine ATM n'est pas seulement impliquée dans la réparation des cassures double-brin de l'ADN, mais aussi dans la réponse des cellules aux radicaux libres (le stress oxydatif), qui perturbent la structure du noyau de la cellule et son vieillissement. Des essais cliniques ont déjà essayé de mesurer les effets de l'administration d'antioxydants sur des patients atteints d'ataxie télangiectasie, mais sans en connaître les mécanismes. Guillaume Rieunier montre que certains patients AT variants présentent des taux de radicaux libres normaux par rapport aux patients AT classiques. Ces patients atypiques ont la particularité de ne pas présenter d’ataxie mais des troubles neurologiques modérés. De plus, ce sont principalement des patients qui ont atteints l’âge adulte (certains ont même plus de 60 ans). L’exploration des causes moléculaires de ces manifestations atypiques est en cours.
Malcolm Taylor (Birmingham, UK) : Diversité des aspects cliniques de l’AT
Le diagnostic d’AT est une décision souvent difficile pour les cliniciens en raison de la grande diversité des manifestations cliniques que peut prendre cette maladie. En collaboration avec le centre spécialiste de l’AT de la clinique de Nottingham, Malcolm Taylor propose différentes méthodologies pour évaluer et quantifier la fonctionnalité de la protéine kinase ATM. Les patients sans activité kinase présentent le phénotype classique d’AT. La présence de la protéine ATM corrèle avec de meilleures fonctions immunologiques. La présence d’une activité kinase résiduelle corrèle avec un phénotype neurologique modéré et différent, ainsi que des fonctions endocrines et pulmonaires normales.
Malcolm Taylor montre également que la neurodégénérescence et la radiosensibilité n’ont aucune relation. Globalement les manifestations phénotypiques de l’AT dépendent de la présence de la protéine ATM et de son activité kinase.
ATM et cancer du sein
Nancy Uhrhammer (CJP, Clermont, France) : Aspects génétiques d’ATM et de ses partenaires
Les mutations délétères des partenaires d’ATM (P53, CHEK2, CHEK1, BRCA1, NFkB, MRE11, RAD50, NBS1 …) conduisent à un risque de cancer augmenté (cancer du sein le plus fréquemment). Partant de ce postulat, Nancy Uhrhammer s’est intéressée à la contribution conjointe de ces gènes dans la prédisposition au cancer du sein dans les familles non mutées pour les gènes BRCA1/2. L’équipe de N. Uhrhammer a prélevé des échantillons sanguins de ces patientes et a séquencé systématiquement 25 gènes potentiellement impliqués dans la prédisposition au cancer du sein (ATM, MRE11, BRIP1, NBN, BAP1, BARD1, CHEK2, PALB2, RAD50, BRCA1, BRCA2, RAD51C, CDH1, COBRA1…). Les résultats préliminaires montrent que plusieurs gènes sont souvent mutés. Certaines patientes ont même parfois jusqu’à 16 gènes mutés. Nancy Uhrhammer propose donc un modèle polygénique de contribution au cancer du sein.
Louise Izatt (St Thomas hospital, London, UK) : Dépistage du cancer du sein en Angleterre
Les programmes de dépistage du cancer du sein en Angleterre invitent les femmes de 50 à 70 ans à faire une mammographie tous les 3 ans. Un débat de longue date existe entre le bénéfice et le risque de ces programmes. Plusieurs raisons à cela :
- Risque de sur-diagnostic (détection et traitements de cancers qui n’aurait pas évolués durant la vie de la patiente s’il n’y avait pas eu de dépistage).
- Risque d’exposition à des doses répétées d’irradiation.
Néanmoins le bénéfice majeur est la réduction de la mortalité en diagnostiquant et en intervenant précocement.
Dans la mesure où les patientes hétérozygotes pour ATM ont un risque modéré de 17 à 30 % de cancer du sein et que le nombre de patientes AT diagnostiquées à l’âge adulte augmente (avec un risque de cancer du sein 30 fois supérieur à la population générale – Reiman et al. Breast Cancer Journal 2011) il reste important de se poser la question du rapport bénéfice/risque des méthodes de dépistage.
Louise Izatt note également que l’activité kinase d’ATM est un facteur protecteur contre le cancer du sein.
Catherine Colin (HCL, Lyon, équipe de Nicolas Foray) : Mammographies et patientes à risque
Catherine Colin a observé un effet radio-biologique lié aux doses faibles et répétées reçues lors des mammographies. Cet effet est exacerbé chez les patientes à hauts risques de cancer du sein. L’étude a été réalisée sur des cellules épithéliales non tumorales de glandes mammaires humaines. En parallèle, une étude récente a montré l’amélioration de la sensibilité de détection de l’IRM par rapport à la mammographie. Catherine Colin considère également que les deux clichés pris lors de chaque mammographie pourraient être responsables de cancers radio-induits chez les patientes à hauts risques. Un compromis serait de combiner un IRM annuel à une mammographie avec un seul cliché pour ces patientes. (Colin et al. Breast 2012).
Pierre Jalinot (ENS, Lyon, France) : Cancer du sein et interactions entre ATM et INT6
Partant de l’observation que l’expression du gène INT6, jusque-là impliqué principalement dans la traduction, est altérée dans les cancers du sein. Pierre Jalinot décrit les mécanismes de réparation de l’ADN dans lesquels INT6 est impliqué et son rôle dans la cancérogenèse mammaire. L’interaction entre INT6, ATM et BRCA1 suggère que le rôle protecteur d’INT6 dans le cancer du sein est lié à son rôle dans la réparation de l’ADN (Morris et al. Cancer Res. 2012).
Conclusion d'ATEurope:
Cette rencontre scientifique a montré:
- que la compréhension de l'influence des rayonnements sur l'organisme progresse
- que l'étendue des dégâts qu'ils produisent dépend en partie de chaque individu
- que des doses thérapeutiques considérées comme faibles jusqu'à lors ne devraient être reproduites qu'avec précaution, y compris dans la population générale.
Chez les patients atteints d'AT, il est connu qu'il faut les protéger dans la mesure du possible et que chaque exposition volontaire doit être réfléchie (cf nos articles Rayonnements et Rayonnement et ionisation). Il arrive que des médecins amenés à soigner ponctuellement un patient atteint d'AT ne soient pas au courant de cette caractéristique de la maladie: n'hésitez pas à le leur rappeler et à leur suggérer de se mettre en contact avec vos services médicaux de référence.