Interview de Cédric Anchisi, président d'ATEurope
Tout d'abord, pouvez-vous nous présenter ATEurope ?
AT Europe est un fonds de dotation créé le 29 mai 2010 destiné à la lutte contre une maladie rare, tout aussi terrible que son nom est barbare : l'ataxie télangiectasie. Il s'agit d'une maladie neurodégénérative qui conduit progressivement les enfants qui en souffrent dans un fauteuil roulant vers l'âge de 10 ans, les rend immunodéficients et diminue considérablement leur espérance de vie à environ 20 ans seulement, souvent beaucoup moins, du fait de cancers et d'infections pulmonaires graves.
Parlez-nous du combat mené par les enfants atteints d'ataxie-télangiectasie ?
Ces enfants sont des héros. Imaginez leur vie avec des soins médicaux et paramédicaux en permanence, pour certains des perfusions toutes les 3 semaines, des prises de sang incessantes et des biopsies douloureuses, pour d'autres des chimiothérapies et d'innombrables consultations auprès de médecins qui n'ont jamais de remède miracle, malheureusement...
Imaginez leur vie quand ils regardent de leur fauteuil roulant leurs camarades de classe courir en récréation, ce qu'ils faisaient avec eux quelques années auparavant; quand ils ne peuvent plus écrire, dessiner ou même seulement attraper un verre parce que leurs mouvements, pourtant clairs dans leur esprit et qu'ils maîtrisaient, sont devenus incontrôlables.
Comment nous décrieriez-vous ces enfants?
Avec les années, chaque geste de la vie quotidienne est un nouveau sommet à franchir, une épreuve aussi difficile, physiquement et psychologiquement, que la montée de la plus haute tour de France.
Mais jamais ils ne se plaignent. Ils avancent, coûte que coûte, en donnant aux autres toute l'énergie qui leur reste pour déclencher des sourires et faire oublier leur handicap, leur terrible perspective, leur course contre la montre.
Des anges? Sans aucun doute, qui imaginent tous les jours leur corps libre du carcan qui le broie pour enfin se lever, s'élever et finalement décrocher la Lune :
GUÉRIR
Et les familles?
Pour l'entourage, voir se dégrader son enfant, son frère ou sa soeur avec une épée de Damoclès qui se fait plus menaçante chaque jour est tout simplement invivable.
Ce n'est pas tant l'incroyable engagement quotidien que nécessite d'assister un enfant handicapé: cela se fait naturellement, "normalement", comme un parent s'occupe de son enfant.
Non, le plus insupportable est le soir, juste avant de dormir, quand l'innocence vous pose ces questions en vous regardant de ses yeux purs et pleins d'espoir: "maman, pourquoi je suis comme çà?", "papa, quand je vais guérir ?" ... Et que vous n'avez pas de réponse.
Alors vous l'embrassez tendrement, de tout votre amour, pour aspirer son mal...mais ça ne suffit pas. Vous le savez...et vous partez en éteignant la lumière... pour cacher vos larmes.
La pratique d'un sport peut-elle aider les enfants atteints par la maladie à se développer et à se sentir mieux ?
Il est établi que l'entretien physique est indispensable aux enfants atteints d'ataxie télangiectasie pour diminuer la vitesse de dégradation de leurs aptitudes physiques et pour travailler leur souffle. Mais la plupart du temps, ceci est proposé uniquement par des séances de kinésithérapie, certes indispensables, mais souvent subies et pas toujours ludiques.
Avec le sport, ces enfants peuvent non seulement maintenir un peu plus longtemps leurs aptitudes, mais surtout il leur permet de se réaliser, se dépasser et même de progresser...ce que peu de domaines les autorisent à faire.
A condition de bien choisir le sport pratiqué.
Quels sports sont indiqués?
La natation est excellente car elle donne la liberté des mouvements, pardonne les mouvements imparfaits et entretient le souffle, si important pour ces enfants aux poumons fragiles.
L'équithérapie (équitation orientée pour entretenir ou développer une aptitude) est aussi utile à plus d'un titre: une activité physique complète, la sensation de liberté, les bienfaits du contact avec l'animal et la satisfaction psychologique de maîtriser une bête immense alors que ses propres moyens physiques sont faibles. De plus, de nombreuses adaptations de matériel sont possibles.
L'agility (guider son chien le long d'un parcours d'obstacle chronométré) est accessible aux enfants atteints d'AT, y compris lorsqu'ils sont en fauteuil roulant à condition que le parcours se déroule sur un sol dur et plan. Si l'effort physique n'est pas évident à première vue, il existe bel et bien quand il faut suivre un chien, lui donner des ordres rapides et enchainés accompagnés d'une gestuelle précise. Sans compter la joie qu'amène la complicité avec l'animal qui, lui, ne juge pas!
Globalement, toute activité physique qui ne risque pas de conduire à une situation d'échec mais permet au contraire la valorisation est indiquée.
Aujourd'hui, où en est la recherche ?
Le gène ATM dont la déficience est à l'origine de la maladie est un des plus complexes du génome, avec de multiples fonctions, des implications dans beaucoup d'autres maladies au premier rang desquelles certains cancers et des similitudes avec des maladies dégénératives du cerveau très répandues type Parkinson.
Nombre de chercheurs s'intéressent donc à ce gène qu'on voit apparaître dans plus de 300 publications scientifiques par an, mais peu se consacrent à la manière de prendre en charge les enfants qui souffrent d'AT puisque ce n'est pas le sujet central de leurs recherches.
Pourtant, il existe des équipes disséminées dans le monde qui s'y attèlent et c'est avec elles que nous travaillons.
Quels sont les espoirs?
Les pistes suivies se divisent en deux catégories:
- Une première qui vise à corriger le gène par une thérapie génique. Mais au milieu de milliers de maladies du même type, les équipes de recherche n'ont pas encore choisi le gène ATM. Encore à leurs débuts, ces techniques sont prometteuses mais restent difficiles à élaborer et très onéreuses: on parle de plus de 1million d'euro par personne traitée, ce qui constitue un frein certain...à rapprocher cependant de celui d'une analyse ADN qui était il y a 20 ans du même ordre et aujourd'hui de moins de 1000€...
- Une seconde approche consiste à s'attaquer aux symptômes de la maladie:
- Pour le déficit immunitaire, il est possible de suppléer l'organisme en certains anticorps, mais pas tous et surtout pas en certains lymphocytes indispensables pour lesquels seule une thérapie génique pourrait apporter une solution.
- Pour les affections pulmonaires, si la plupart sont des conséquences du déficit immunitaire, un pourcentage est d'origine inconnue, comme l'est étonnamment le fonctionnement des poumons pour lesquels il existe peu de traitements.
- Enfin, les plus gros progrès de prise en charge sont attendus dans les prochaines années pour la partie neurologique. Des programmes prometteurs sont en cours, notamment un financé par AT Europe, qui visent à comprendre le processus de dégénérescence du cervelet décrit dans l'AT pour ensuite le ralentir, voire le stopper.
Quels sont les moyens dont dispose ATEurope et quels sont ses besoins pour mener à bien son combat ?
Soigner les enfants est une priorité pour AT Europe qui s'est fixé comme objectifs de:
- Financer le plan de recherches défini par son comité scientifique composé de chercheurs mondialement reconnus
Ainsi que je l'ai dit précédemment, ces recherches auront des retombées notamment sur les cancers, les maladies immunes et les maladies dégénératives du cerveau.
AT Europe finance directement les équipes de recherche. Le plan de recherches actuel est composé de trois programmes français. Les premiers résultats de l'un d'entre eux viennent d'être publiés dans la plus grande revue de cancérologie au monde.
Les objectifs suivants sont de continuer à fournir des outils aux chercheurs, possiblement de mettre sur pied une banque de tissus humains affectés par la maladie AT (un outil unique, indispensable et même attractif pour les équipes scientifiques du monde entier), de créer des modèles cellulaires et animaux de la maladie pour des essais et pour cela, de lancer un appel à projets européen courant 2015. Nous sommes également instigateur d'une collaboration internationale autour d'un projet de base de données mondiale qui, nous l'espérons, débouchera sur bien d'autres collaborations.
- Créer un modèle innovant de lutte contre les maladies rares
L'isolement géographique est le problème majeur face aux maladies rares (7000 répertoriées dans le monde - 1500 identifiées en France - 5% de la population).
Pour y remédier, ATEurope propose un site Internet informatif exhaustif qui possède également des fonctions de gestion communautaire. Chaque utilisateur a la possibilité de créer en un clic des groupes de travail et d'échange à l'aide de forums, d'une messagerie privée, d'un mur de discussion et de partage sécurisé de fichiers.
Nous nous employons à le faire adopter aussi par les scientifiques pour gagner ce que les enfants n'ont pas: du temps.
- Offrir une organisation sûre, claire et efficace et convaincre des partenaires mécènes sur le long terme
Le fonds de dotation est l'outil idéal: bénéficiant d'une forme de reconnaissance d'utilité publique, son objet étant forcément philanthropique, il est très contrôlé par l'État et permet de faire bénéficier aux donateurs, entreprises ou particuliers, de réductions d'impôt.
Composé de bénévoles, AT Europe a des frais de fonctionnement très faibles : chaque euro donné va donc à la recherche.